Guillaume Krattinger

        Une croyance simple, au centre de mon travail, réside dans le fait que ce qui nous entoure renferme et laisse échapper des agencements de formes aux allures loquaces, des sculptures latentes, des signes. Tout se joue à cet instant, dans l’interprétation du monde, là où l’œil métamorphose le réel.

        La photographie s’impose à moi comme le révélateur de ces faits, elle se veut la captation de ces instants ténus où les choses s’animent. Elle est l’acte poétique qui transforme, qui confère une importance à notre environnement.

        Les lieux abandonnés, les périphéries, les déchets et la nature qui les colonisent sont des sujets qui jalonnent mon parcours, de Tchernobyl aux rivières polluées en passant par les carrières de marbre de Carrare, toujours la même obsession : celle d’un monde qui parle de son histoire, de ses balafres et de ses rejets. Tout un univers de matériaux, de traces, de textures qui constitue notre environnement s’élabore comme un vocabulaire nourrissant mon imaginaire.

        Et lorsque le réel n’est pas suffisant, c’est par le biais de la sculpture que les lieux s’élaborent, tel des photographies latentes. Encore une fois l’acte poétique opère et c’est en repeignant le monde, en agissant sur lui que se créent mes sculptures. Il s’agit d’un langage de textures et de matières chargées de sens comme le charbon, le lait, le fer qui une fois mis en place évoque des paysages de l’esprit, fable ou rêve de notre monde.

        Tous ces processus de nourriture et digestion, de transformation des matériaux, d’oxydation, de passage d’un état à un autre omniprésent me semblent être les reflets de notre organisation sociale et vivante absorbée par l’œil et façonné par l’imaginaire des mains. C’est par un regard sur le monde, un regard qui traîne là où le commun ne va pas, que j’essaie de reconstituer les pièces d’un puzzle, de comprendre notre société avant de la passer au crible de la métamorphose.

        C'est par cette voie que je tente de révéler ce qui se cache, est invisible : un souffle, un miroitement. Tentative de transcrire ce lien ténu entre visible et invisible, j'essaie de transmettre au spectateur une expérience sensible. Je me rapproche de l'expérience initiale de «l'épiphanie» qui génère ces images, celle qui me fait appuyer sur le déclencheur et isoler un court instant du monde.