Guillaume Krattinger

GUILLAUME KRATTINGER – Petites épiphanies

        "Il s’agira pour Kandinsky de s’asseoir dans la nature non pas "comme un chien" qui regarde sans but et sans parti pris jusqu’à pénétrer ce qu`on a devant soi (Cézanne) mais davantage peut-être, s`asseoir dans le paysage comme une chaise qui accueille tout ce qui veut bien s`y poser, et ce sont alors des rythmes, des mouvements, des signes plutôt que des formes dont la pesanteur garde encore trop de soumission aux illusions de l’évidence."

JEAN-YVES LELOUP
"Imagine": Kandinsky, Casloriadis et le pèlerin russe.


        Alchimiste, anticipateur de "réactions", Guillaume Krattinger ré-agence le réel en le recadrant par le biais de l'image photographique ou de la matière sculptée. Né en 1985 et diplômé en 2011 de l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris avec les Félicitations du Jury, il est l'auteur d'une sorte de cosmogonie qui déconsidère puis reconsidère l'univers pour l'ordonner selon un système nouveau de lecture, d'organisation des couches, de composition des gammes. Décontextualiser l'image pour l'isoler de ses références permet à l'artiste d'opérer une sorte de coupe du réel, un grossissement, un écart ou un focus, de déplacer le viseur pour en affirmer l'arbitraire. Réévaluant les agencements de formes produits par le visible - ceux qui sont le fruit de la nature, mais ceux aussi qui sont le résultat d'un système - Guillaume Krattinger réhabilite ces espaces-interstices. Empirique, performatif, son geste vient décomposer un certain phénomène d'apparition à travers le processus de l'image. Structures en béton de ruines post-industrielles, paysages désolés, infrastructures abandonnées, lampadaires électriques, ces vestiges énigmatiques introduisent la notion de "non-site" comme espace vidé de toute référence. « Petites épiphanies » présente une série de tirages qui explorent le visible en périphérie, sorte de zone oubliée dont les empreintes persistent et se dévoilent à travers l'opération chimique du procédé photographique. L'ambrotype est une technique de tirage au collodion sur plaque de verre plongée dans un bain d'argent puis blanchie chimiquement. Posée sur un fond noir, l'image apparaît en positif. Appuyée sur un fond blanc, elle s'incruste au contraire comme une trace, dévoilant sa surface métallisée. Les éléments contenus dans l'image ne sont plus "objet" mais "apparition". L'artiste parle d' « épiphanie » pour qualifier ce moment de miroitement, de contact avec la lumière, où s'orchestrent savamment les reflets. Cette trans-création qui s'organise à partir d'un donné se compose en effet pour beaucoup de transparence. Que ce soit dans les photographies de Guillaume Krattinger, le reflet de l'eau, la flaque, l'étang, l'utilisation de la résine polyester et de la faïence dans ses volumes, ou ses ambrotypes sur verre, l'univers liquide côtoie ce que l'artiste nomme "la matière du monde" et se conjugue au verre et à l'image pour orchestrer les fondamentaux de sa démarche : les liquides, mouvants, instables et pourtant fixateurs; le verre, écran, miroir, projection; et l'image "où? quand? comment?" qui contient toujours l'insoluble énigme. En manipulant ces interfaces d’apparition, en déclassant les informations et en brouillant les zones d'identification, l'artiste met en scène ce moment tampon où l'image contient en elle-même tout son procédé de révélation, où elle transgresse son rôle de surface pour exister comme matière.

Elisa Rigoulet,
le 15 octobre 2014